Le tribunal de La Haye a tranché : les 260 BMW récupérées sur le transporteur « Fremantle Highway », ravagé par un incendie en haute mer, ne pourront pas être mises en vente en Europe. Cette décision, confirmant un jugement provisoire de juillet 2024, constitue un précédent majeur pour la protection de l’image et de la sécurité des marques automobiles.
Origine du litige et récupération des véhicules
En juin 2024, l’autotransporteur « Fremantle Highway » a pris feu au large des côtes hollandaises, obligeant les autorités à évacuer l’équipage et à abandonner près de 4 000 véhicules à bord. Parmi eux, 260 BMW neuves destinées initialement au marché asiatique ont été récupérées en dessous de la ligne de flottaison. Le consortium d’importateurs de Rotterdam, en coopération avec plusieurs concessions, a alors envisagé de commercialiser ces voitures en Europe pour limiter ses pertes.
Arguments du consortium de concessionnaires
Pour lever l’interdiction de vente, les distributeurs ont présenté plusieurs expertises techniques :
- Des rapports du TÜV portant sur des prélèvements dans trois BMW jugées « intactes et conformes » après une inspection approfondie du châssis, du moteur et de l’électronique.
- Des contrôles de la sécurité occupant l’habitacle et des tests de résistance des airbags et systèmes d’assistance.
- Des relevés d’humidité et d’infiltration pour démontrer l’absence de corrosion prématurée due à l’eau de mer et aux résidus de combustion.
Les concessionnaires soutenaient que les états de ces véhicules rendaient leur commercialisation sans risque pour le consommateur.
La position du tribunal : risques cachés et protection de la marque
Le 1er août 2025, le juge de première instance a repoussé ces arguments, estimant que :
- Les effets corrosifs du sel, de la suie et de la chaleur ne se manifestent pas toujours immédiatement et peuvent compromettre à terme les composants critiques (freins, circuits de carburant, faisceaux électriques).
- Le constructeur n’avait pas homologué ces BMW pour l’Europe, rompant ainsi l’exercice du droit de marque – la « thèse de l’épuisement des droits » ne pouvait être validée.
- La réputation de BMW et la sécurité des futurs acquéreurs justifiaient une prudence maximale : un risque potentiel, même limité, ne pouvait être ignoré.
En conséquence, la mise en circulation et même l’export de ces véhicules vers des pays tiers sont formellement interdits.
Conséquences pratiques pour les importateurs et les acheteurs
Le jugement impose au consortium de concéder immédiatement les voitures à BMW pour destruction. Les concessionnaires s’exposent à des pénalités financières s’ils contreviennent à cette injonction :
- Obligation de rendre tous les véhicules à l’usine BMW, qui prévoit leur recyclage intégral.
- Sanctions contractuelles pouvant atteindre plusieurs millions d’euros en cas de tentative de vente clandestine.
- Risque de procédures pénales pour mise en circulation de véhicules non conformes aux normes européennes.
L’enjeu de la confiance et de la qualité
Au-delà de la question juridique, ce dossier soulève le rôle clé de la confiance consommateur. Lorsqu’un véhicule est exposé à un incident grave – ici un sinistre en mer – la trace de l’événement reste gravée dans son historique. Même si aucun dégât visible n’est constaté, le doute subsiste sur la durée de vie et la fiabilité. Pour un constructeur premium comme BMW, la moindre entorse à l’intégrité de la marque peut avoir des répercussions durables :
- Perte de crédibilité sur la fiabilité à long terme.
- Refus de garantie pour d’éventuels futurs propriétaires.
- Risques d’indemnisation en cas de défaillance partielle ou totale.
Voie de recours et perspectives
Le consortium de Rotterdam a d’ores et déjà annoncé son intention d’interjeter appel. Selon ses porte-parole, les expertises indépendantes du TÜV seraient suffisantes pour démontrer l’absence de danger. Le tribunal d’appel devra trancher sur le fond, en confrontant expertise technique et droit des marques :
- Examen détaillé du risque d’apparition tardive de dommages liés à l’immersion.
- Interprétation stricte ou souple de la notion « d’épuisement des droits » de marque.
- Potentielle utilisation de protocoles de remise à neuf agréés par BMW pour valider certains exemplaires.
En attendant la décision de la cour suprême néerlandaise, ce cas sert d’avertissement aux importateurs et aux distributeurs : les véhicules altérés ou non certifiés par le constructeur ne trouveront pas preneur sur le marché européen, quel que soit l’état apparent.