Le petit indicateur qui a changé la vie des automobilistes : hommage à James Moylan
Il y a des inventions discrètes qui facilitent le quotidien sans jamais faire les gros titres. L’une d’elles — un simple petit « pictogramme‑flèche » près de la jauge à carburant indiquant de quel côté se trouve la trappe à essence — vient de perdre son créateur. James S. Moylan, ingénieur chez Ford et auteur de cette idée devenue universelle, est décédé le 11 décembre 2025 à l’âge de 80 ans. À l’heure où tout s’emballe autour des technologies électriques et des systèmes d’aide à la conduite, il est bon de revenir sur une amélioration d’usabilité dont nous usons tous, souvent sans y penser.
Une idée née d’un petit désagrément
La genèse de l’idée est d’une simplicité presque touchante. En avril 1986, Moylan rentrait d’un rendez‑vous sous la pluie avec un véhicule de flotte de son employeur. Arrivé à la station‑service, il se rend compte qu’il s’est garé du mauvais côté de la pompe. La manœuvre pour repositionner le véhicule, sous la pluie, lui paraît stupide et évitable. De retour au bureau, il esquisse une suggestion d’amélioration : un petit symbole dans l’instrumentation, placé près de la jauge à carburant, qui indiquerait la position de la trappe. Il s’agit d’une “Product Convenience Suggestion”, c’est‑à‑dire d’une proposition simple, pratique et peu coûteuse, destinée à améliorer l’expérience utilisateur.
De la suggestion à la production : Ford dit oui
Sept mois après son envoi, la proposition de Moylan reçoit un feu vert. Dès 1989, certains modèles Ford — comme la Escort et la Mercury Tracer — intègrent le nouveau symbole dans leur combiné d’instruments. Rapidement, l’idée dépasse Ford et sera reprise, sous une forme ou une autre, par presque tous les constructeurs. Le pictogramme, souvent accompagné d’une flèche pointant à gauche ou à droite, se banalise au point de devenir un standard mondial. Aujourd’hui, il figure sur quasiment tous les véhicules, y compris les hybrides et électriques qui peuvent disposer de prises multiples.
Pourquoi ce détail a tant d’impact
Sur la scène des innovations automobiles, le pictogramme de Moylan n’est ni spectaculaire ni coûteux, mais il répond à un besoin réel : réduire l’effort cognitif du conducteur dans une situation banale. Pour les conducteurs de flottes, de locations ou simplement pour les ménages possédant plusieurs véhicules, l’ergonomie compte. Cette flèche évite la frustration et le temps perdu, réduit les manœuvres inutiles et, à l’usage, participe à une conduite plus fluide. C’est un exemple parfait d’innovation incrémentale : un petit ajout qui procure une amélioration disproportionnée de l’expérience utilisateur.
Parcours professionnel de Moylan
James Moylan est né le 19 décembre 1944 à Detroit, dans une famille nombreuse. Après sa formation, il commence sa carrière en 1968 comme dessinateur en développement carrosserie chez Ford. Progressivement, il rejoint la division plastique à une époque où les matériaux composites et l’injection plastique gagnaient en importance. Sa carrière l’amène même au Japon, dans le cadre de la coopération Ford‑Mazda. En parallèle, Moylan poursuit un cursus universitaire en études du soir et décroche son diplôme en technique des plastiques en 1999. Après plus de trois décennies chez Ford, il prend sa retraite en 2003.
Héritage familial et reconnaissance
Moylan laisse derrière lui son épouse Kathleen et leurs enfants Andrew, Elizabeth et Kara. Dans les hommages, la famille souligne l’humour discret de l’ingénieur et sa modestie : il préférait les relations humaines au travail plutôt que l’éclat de la reconnaissance publique. Pourtant, son petit pictogramme a eu une portée mondiale. C’est une de ces contributions qui illustre comment l’attention portée à l’utilisateur final peut générer un impact durable.
Leçon d’ingénierie : l’ergonomie d’abord
Le cas Moylan illustre plusieurs principes utiles pour les ingénieurs et designers d’aujourd’hui :
Dans un contexte technique où l’on recherche souvent la rupture, Moylan rappelle la valeur des améliorations progressives et intelligentes.
Un symbole omniprésent dans la mobilité moderne
Aujourd’hui, la flèche de la jauge fait partie de la panoplie standard des interfaces automobiles, qu’il s’agisse de véhicules à essence, diesel, hybrides ou électriques. La multiplication des points de recharge et des configurations (par exemple sur les véhicules électriques avec port de charge avant ou arrière) rend d’ailleurs la présence d’un tel indicateur encore plus pertinente. Sa simplicité est sa force : aucun apprentissage complexe, un message immédiatement compréhensible, une exécution peu coûteuse mais utile.
Réflexion finale
La disparition de James Moylan nous rappelle que l’histoire de l’automobile est faite autant de grandes innovations que d’astuces modestes. Derrière chaque petit détail ergonomique, il y a souvent une personne curieuse et attentive aux usages. Si la mobilité du futur se débat avec des batteries, des fuel cells et des logiciels, il ne faut pas oublier que le confort quotidien repose aussi sur ces micro‑améliorations. Moylan avait compris cela dès les années 1980 : un bon design, c’est parfois une flèche au bon endroit.
