La fin silencieuse d’un pionnier électrique

La berline Tesla Model S, lancée en 2012 comme la vitrine technologique et commerciale de la première vague d’électriques haut de gamme, a récemment disparu du configurateur allemand. Sans aucune communication officielle, Tesla a effacé discrètement ce modèle historique, laissant place aux seules Model 3 et Model Y. Cette décision trahit un retournement de tendance : le « mass market premium » d’hier cède le pas aux SUV et aux compactes plus accessibles.

Des chiffres qui ne mentent pas

Sur les six premiers mois de 2025, seules 58 Model S et 59 Model X ont été immatriculées en Allemagne ; à peine dix exemplaires par mois, dans un marché qui connaît pourtant une électrique-mania sans précédent. En comparaison, la Model Y a totalisé 6 305 immatriculations sur la même période, soit 100 fois plus. Tesla a même perdu près de 60 % de part de marché en Allemagne, une hémorragie imputable à plusieurs facteurs :

  • Un prix de vente minimal supérieur à 100 000 €, devenu un obstacle même pour certains clients premium.
  • Une préférence marquée des acheteurs pour les SUV, plus pratiques au quotidien.
  • La concurrence accrue de marques européennes qui proposent des berlines électriques à la fois plus abordables et mieux intégrées dans leur réseau de services.
  • Le tournant Model 3/Model Y

    La véritable révolution chez Tesla est venue avec la Model 3 en 2017, puis la Model Y en 2020. Ces deux modèles, grâce à leur tarif d’accès démarrant autour de 45 000 €, ont permis à Tesla de conquérir une clientèle plus large :

  • La Model 3 a dépassé le million d’exemplaires produits, devenant la voiture électrique la plus vendue de l’histoire.
  • La Model Y a grimpé rapidement dans les charts des SUV compacts, combinant un format crossover apprécié et l’habitabilité d’une berline.
  • L’extension du réseau Supercharger et l’efficacité éprouvée du pilote automatique ont renforcé l’attrait de ces modèles.
  • Dans ce contexte, la Model S, avec ses dimensions généreuses, son prix élevé et son format traditionnel de berline, a perdu son statut d’attraction principale chez les acheteurs allemands.

    Le bilan technique du Model S

    Quand elle est sortie, la Model S a bousculé tous les codes : plus de 600 km d’autonomie EPA, un 0–100 km/h en 2 s en version Plaid (1 020 ch), et un cockpit dominé par un écran géant. Mais aujourd’hui :

  • Le design, jugé trop daté face aux lignes tendues des nouvelles berlines européennes, fait son âge.
  • La nouvelle génération de batteries et d’architectures électriques fait baisser l’écart d’autonomie et d’efficacité.
  • Les tarifs de maintenance (choc, entretien spécifique) sont moins compétitifs qu’au lancement.
  • Autant d’éléments qui ont creusé l’écart entre la Model S et les promesses originelles de la « révolution Tesla ».

    Un facelift non-vendu en Europe

    En juin 2025, Tesla a présenté un restylage discret du Model S sur le marché nord-américain : éclairage interne à LED, nouveau volant « yoke », interface logicielle retouchée. Pourtant, ce facelift ne sera pas proposé en Europe, selon le configurateur allemand. Plusieurs raisons expliquent ce choix :

  • Le coût d’homologation et d’adaptation aux normes européennes ne se justifie plus face à la faible demande.
  • La marge sur chaque véhicule vendu reste trop faible pour amortir ces investissements.
  • La stratégie du groupe consiste désormais à privilégier les volumes et la rentabilité des modèles compacts et SUV.
  • Le marché premium électrique se réinvente

    Le départ de la Model S du catalogue marque un tournant. Les concurrents historiques ont développé des alternatives : la Porsche Taycan, l’Audi e-tron GT, la Mercedes EQE. Tous misent sur :

  • Une qualité de finition plus raffinée.
  • Une assistance à la conduite (ADAS) alignée sur les standards européens.
  • Des réseaux de distribution et de service après-vente adaptés aux attentes locales.
  • Toutes choses qui séduisent désormais davantage la clientèle premium, soucieuse de l’expérience globale autant que des performances brutes.

    Vers un avenir à 25 000 €

    Tesla garde cependant le cap sur l’accessibilité financière avec son projet de « voiture à 25 000 € » attendu pour 2026–2027. Ce modèle, qui viendra se positionner sous la Model 3, doit renouer avec l’esprit pionnier de la Model S première génération, mais sur un segment plus démocratique. L’objectif : retrouver des volumes de vente porteurs et réenchanter une clientèle hésitante.

    Le rôle symbolique du Model S dans l’histoire Tesla

    Si la première génération de la Model S reste un jalon majeur — la voiture qui a prouvé que l’électrique pouvait être synonyme de plaisir, de luxe et de performance — son retrait progressif du marché européen symbolise la fin d’un chapitre. Tesla tourne désormais la page sur son berline de prestige pour mieux écrire son récit autour de véhicules utilitaires et compacts, plus en phase avec les besoins actuels et les enjeux financiers du groupe.

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